Parfums iodés et coteaux escarpés : la mosaïque des vins italiens bordant la Méditerranée

25 octobre 2025 par Élodie et Julien

La Ligurie, entre falaises et maquis : les Cinque Terre et le Vermentino

Impossible d’évoquer le vin côtier italien sans évoquer le vertige des vignobles des Cinque Terre. Ici, au nord-ouest, les murets de pierre retiennent la terre sur des pentes vertigineuses. La vigne s’accroche jusqu’à parfois 400 mètres d’altitude, face à la mer frangée d’écume.

  • Cinque Terre DOC : Ce blanc sec, à base de Bosco, Albarola et Vernazza, tisse des parfums floraux, d’amande, de citron confit, avec toujours cette tension saline qui rappelle l’écume toute proche. La production annuelle est minuscule — à peine 250 hectares cultivés (source : consorzio Cinque Terre).
  • Vermentino di Liguria : Plus généreuse, cette appellation s’étire de la Riviera di Levante jusqu’aux confins de la Toscane. Le Vermentino aime la lumière crue, la caillasse et l’iode. On le retrouve dans de nombreux bars à vin locaux, souvent accompagné de poisson cru ou de focaccia.

Anecdote : le Sciacchetrà, rare vin doux passito, est un trésor régional. Les raisins sont séchés sur des claies au soleil avant pressurage, selon une tradition qui remonterait à l’époque de Pline l’Ancien.

Toscane et Maremme : Syrahs étudiants le littoral, Morellino et Bolgheri

Délaissons un instant les collines de Sienne pour longer la Maremme, cette Toscane sauvage, épicée de genêts et de pins maritimes. Ici, les brumes de la mer viennent caresser les vignes le matin, accentuant la fraîcheur des crus. Trois appellations méritent particulièrement l’attention.

  • Morellino di Scansano DOCG : Cousin du Chianti, ce Sangiovese côtier, souvent plus juteux, diffuse des notes de fruits rouges mûrs, de violette, d’herbes séchées. Un vin parfait pour un accord avec une pappa al pomodoro ou une grillade de poissons.
  • Bolgheri DOC : La fameuse terre des “Super Toscans” ! Depuis les années 1980, les vignerons osent planter Cabernet, Merlot, Syrah. Le résultat : des vins charpentés, aux arômes de fruits noirs, de cèdre, parfois proches des grands Bordeaux, sans perdre leur éclat méditerranéen. Le Sassicaia, mythe local, a été le premier vin italien à obtenir sa propre DOC en 1994 (source : Decantalo).
  • Vermentino della Maremma : Frais, citronné, souvent iodé. Il accompagne les fruits de mer et les apéritifs sur la plage.

Anecdote : On compte aujourd’hui moins de 150 producteurs à Bolgheri, pour 1 370 hectares cultivés, mais 3,5 millions de bouteilles produites chaque année. La mer tempère les excès du soleil, garantissant une maturité lente des raisins.

Vénétie et Frioul : le Prosecco et les perles méconnues de la lagune

Cap au nord-est, où Venise rêve derrière une brume d’onglée et de vaporetti. Ici, la vigne n’a jamais quitté les marais : la lagune et les rivières domptent l’aridité des étés. Contrastes, douceurs, bulles — c’est le royaume du Prosecco et bien plus.

  • Prosecco DOC/DOCG : Produit sur 24 000 hectares (source : UIV Observatoire du Vin Italien), ce mousseux né de Glera arbore un nez de poire, de fleur blanche et d’herbe coupée. Par an, l’Italie exporte plus de 700 millions de bouteilles (source : Istat, 2023), dont la majorité vers la France, le Royaume-Uni et les États-Unis. Les plus prestigieux viennent des collines de Valdobbiadene et Conegliano.
  • Friulano : Dans le Frioul, le Friulano règne sur les terrasses de marne près de Grado. C’est un blanc ample, subtilement herbacé et salin, à découvrir sur une terrasse face à l’Adriatique.
  • Refosco dal Peduncolo Rosso : Plus confidentiel, ce rouge frioulan charnu, vivifiant et un peu sauvage, évoque la canneberge, la violette et la terre mouillée.

Anecdote : sur l’île de Sant’Erasmo, une poignée de vignerons cultivent du Malvoisie de Venise, seul vin de la lagune, souvent bu par les gondoliers.

Sud et soleil : des Pouilles à la Calabre, le sud sauvage et ses cépages indigènes

Le sud italien, à quelques brasses de l’Afrique, a longtemps été un terrain de vins puissants, gorgés de soleil et d’histoire. La mer tutélaire tempère ici le feu, du Gargano jusqu’au cap Spartivento, offrant des crus aux personnalités affirmées qui enchantent l’assiette autant que l’imaginaire.

Pouilles : Primitivo, Negroamaro et le sel de la vie

  • Primitivo di Manduria DOC : Un rouge explosif, confit, caressant. 24 000 hectares de Primitivo sont plantés dans la région, pour une AOC qui abrite parmi les rouges les plus réputés du sud. L’influence maritime se fait sentir : sur le littoral, le Primitivo donne des vins plus élégants qu’à l’intérieur des terres.
  • Salice Salentino DOC : Assemblage sur base de Negroamaro (obligatoire à 75% minimum, source : Consorzio Salice Salentino), ce rouge profond, parfois relevé de fruits noirs et d’épices, accompagne parfaitement la cuisine méditerranéenne locale.

Anecdote : Les Pouilles sont le premier vignoble d’Italie en superficie (110 000 hectares environ, soit près de 20% du vignoble national, source : Federdoc). Dix pour cent de la surface cultivée est située à moins de 10 km de la mer.

Campanie et Calabre : la force des traditions antédiluviennes

  • Falanghina del Sannio : Ce blanc vibrant, herbacé, adore les sols volcaniques surplombant Naples. Il garde une belle vivacité en bouche, parfaite avec les frutti di mare.
  • Ciro DOC : En Calabre, le Gaglioppo, cépage autochtone des Grecs, façonne un rouge sombre et presque salin, porteur d’une longue tradition (les anciens l'appelaient “le vin des marathoniens” car il était offert aux vainqueurs olympiques, source : Slow Food Editore).

Anecdote : On retrouve dans la région la tradition du palmento, pressoir collectif en pierre, vestige d’une viticulture millénaire qui s’écrit dans les légendes locales aussi bien que sur les étiquettes.

Sicile et Sardaigne : l’océan des sens

Plus loin, les îles s’ouvrent aux flots comme des vaisseaux pétris de lumière et de lave. Ici, la mer joue un rôle magique, brouillant les frontières entre terroir et horizon. En Sicile comme en Sardaigne, la viticulture de côte touche parfois à la magie.

Sicile : Etna, Marsala et Grillo

  • Etna DOC : Sur les pentes du volcan, le Nerello Mascalese offre un rouge fin, aérien, parcouru de notes de cerise sauvage, de poudre de pierre et, parfois, d’une fraîcheur salée tirée des brises de mer qui remontent chaque jour. La zone compte 1 200 hectares, principalement concentrés entre 400 et 1 000 mètres d’altitude (source : Consorzio Etna DOC).
  • Grillo : Cépage blanc résistant à la chaleur, il donne depuis peu des vins frais, tendus et iodés, parfaits sur les calamars frits ou une salade d’agrumes.
  • Marsala DOC : Célèbre vin muté, doré comme les crépuscules sur les marais salants. Depuis le port de Marsala, ce nectar sucré ou sec a conquis l’Angleterre dès le XVIIIe siècle.

Anecdote : Ce fut Benjamin Ingham, marchand palermitain d’origine anglaise, qui industrialisa le Marsala pour l’exporter vers Liverpool – un des premiers succès mondiaux des vins côtiers italiens (source : The Oxford Companion to Wine).

Sardaigne : Vernaccia, Vermentino et Cannonau

  • Vermentino di Gallura DOCG : Unique DOCG sarde, ce blanc partage des arômes d’agrumes mûrs, de thym citron, de pierre à fusil. Il bénéficie de sols granitiques et de l’air marin tempétueux du détroit de Bonifacio.
  • Cannonau di Sardegna DOC : Cépage identitaire, le Grenache local façonne des rouges capiteux mais aériens grâce à l’influence marine, sur fond de mûre, d’herbes aromatiques et de sel.
  • Vernaccia di Oristano DOC : Vin oxydatif inspiré du Xérès, élevé sous voile, avec des arômes d’amande et de fruits secs — à découvrir auprès des pêcheurs.

Anecdote : la Sardaigne reste celle des micro-caves familiales : 85% de la production insulaire est élaborée par de petites coopératives (source : Sardinia Wine Consortium).

Cartographier les coups de cœur viticoles de la côte italienne

  • Ligurie : Cinque Terre, Portovenere, Levanto
  • Toscane : Bolgheri, Maremma, Piombino
  • Pouilles : Salento, Manduria, Tarente
  • Vénétie – Frioul : Valdobbiadene, Grado, Trieste
  • Sicile – Sardaigne : Marsala, Trapani, Cagliari, Oristano

À chaque étape, les vignerons ouvrent leurs portes : l’occasion de déguster à la source et d’échanger autour de l’histoire, du climat et de la mer. De nombreuses caves proposent aujourd’hui des balades “pieds dans l’eau”, entre deux rangs de vignes et une crique turquoise.

Oser la découverte : invitation aux plaisirs maritimes

La côte italienne s’avère un carnet de bal pour les curieux. Les incontournables y côtoient les surprises émergentes, portées par des cépages rares, des traditions retrouvées, et un rapport à la mer aussi tangible qu’un grain de sel entre les doigts. Que l’on soit amateur de mousseux frais, d’élixirs volcaniques ou de rouges solaires, le voyage serpente au gré des cafés marins, des marchés de poissons ou des caves blotties sous les falaises.

Goûter ces vins, c’est goûter l’Italie en mouvement, là où l’eau façonne encore la vigne. Pour les explorateurs dans l’âme, il y aura toujours, sur quelques kilomètres de côte, un vin à découvrir… et un vigneron à rencontrer.

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